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divendres, 15 de febrer del 2013

ITINÉRAIRE : GENEVIÈVE

  
























Itinéraire : Geneviève de Gaulle-Anthonioz

Entretien avec Germaine Tillion et Francine de La Gorce description auteur
Juin 2002
Geneviève de Gaulle-Anthonioz est décédée le 14 février dernier. Ancienne présidente du mouvement ATD quart monde, et rapporteur au Conseil économique et social, elle avait à ce titre préparé et défendu à l’Assemblée nationale le projet de loi contre l’exclusion.
Projet - Germaine Tillion, vous étiez une grande amie de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Pouvez-vous nous en parler ?
Germaine Tillion - C’est vrai. Nous sommes restées un petit groupe d’amies très fidèles avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Anise Postel-Vinay, Marika Delmas et Denise Vernay. Dans ma maison de Bretagne, il y a la chambre de Geneviève et elle y venait chaque année.
Comment vous raconter cela ? Je crois que j’ai été la première Française qu’elle ait vue en arrivant à Ravensbrück. Moi-même, j’ai été arrêtée le 13 août 1942, et déportée en octobre 1943 ; je portais le n° 24588. Elle est arrivée le 31 janvier 1944, dans le même convoi que ma propre mère, et c’est ainsi que nous nous sommes connues. Elle a été très vite la camarade privilégiée de toutes les Françaises du camp. Elle l’est restée tout au long de notre captivité, dépassant toutes les frontières des catégories politiques. Nos premières conversations ensemble ont porté spontanément sur son oncle, à qui nous autres gaullistes avions fait confiance sans rien savoir de lui, en réalité. J’ai été heureuse de comprendre que le Général était un homme d’honneur, un homme sûr : il avait fait le même choix que nous, pas forcément pour les mêmes raisons. Au camp, nous n’étions pas dans le même bloc : Geneviève était dans le bloc 27, avec Jacqueline Péry qui était arrivée en même temps qu’elle. Elle avait été mise dans un kommando très dur, où les femmes étaient battues tous les jours. Or elle a été très malade ; elle souffrait d’avitaminose et nous avons fortement craint pour sa vie à un moment. Nos amies tchèques ont réussi à la faire changer de kommando. Mais, soumise aux coups et aux humiliations, elle n’a fait preuve d’aucune passivité. J’ignore si le grand courage dont elle témoignait lui venait de sa jeunesse. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Anise Postel-Vinay, elles n’avaient que vingt ans et se montraient à la fois fragiles, enthousiastes et très courageuses. Moi-même, je n’appartenais pas tout à fait à la même génération (j’avais quinze ans de plus), j’avais derrière moi une expérience de vie en Afrique pendant six ans, j’avais monté une organisation de résistance et j’étais du coup davantage dans la position d’une personne de jugement, un peu en retrait !
Projet - Comment réussissiez-vous à communiquer dans le camp, si vous ne viviez pas au même endroit ?
Germaine Tillion - De bloc à bloc, toute la journée, nous utilisions de multiples ruses pour communiquer. Les SS n’étaient pas assez nombreux pour nous surveiller en permanence, et il leur arrivait d’être fatigués, eux aussi. Dans les endroits consacrés au travail, nous étions surveillées par des SS hommes, et par des femmes sur notre lieu de réclusion. En leur absence, nous faisions ce que nous voulions car nous étions surveillées par des prisonnières sélectionnées par eux dans le lot de celles qui parlaient allemand et étaient arrivées dans les premières : parmi elles, de nombreuses Polonaises, ainsi que Grete Buber-Neumann, qui avait été arrêtée par Staline et déportée à Ravensbrück dès la création du camp, en 1939. Ces prisonnières, qui portaient un brassard rouge, se permettaient des choses extraordinaires, comme escamoter des livres dans le tas de biens confisqués à l’arrivée de chaque prisonnière pour ensuite les faire circuler. C’est ainsi que j’ai encore, dans ma bibliothèque, une Imitation de Jésus-Christ que j’ai gardée et rapportée à notre libération. Geneviève a pu profiter aussi de cette circulation de bouquins sous le manteau.
Projet - Savez-vous pourquoi elle a quitté Ravensbrück avant la libération des camps ? Etait-ce parce qu’elle était malade ?
Germaine Tillion - Je ne crois pas que son état de santé y fût pour quelque chose. En réalité, Geneviève a été négociée entre Himmler et la Croix-Rouge suisse à la suite d’une intervention de Himmler auprès de la Croix-Rouge, afin que celle-ci fasse passer le courrier qu’il voulait adresser à Eisenhower. Mais notre séparation n’a pas duré et je l’ai retrouvée immédiatement après notre retour de captivité en juillet 1945. Toutes les trois, avec Anise, nous avons passé un moment de repos en Suisse, et elle s’est fiancée avec Bernard Anthonioz l’hiver suivant. C’est le jour de leur mariage, en 1946, que j’ai fait la connaissance du général de Gaulle.
Cela a marqué une nouvelle étape de notre amitié. Pendant la guerre d’Algérie, j’ai pu voir le général de Gaulle chaque fois que cela était nécessaire, grâce à elle, et ce avant même qu’il revienne « aux affaires ». Geneviève et Bernard étaient très engagés, animés du désir de s’occuper des prisonniers (qui n’étaient pas des prisonniers de guerre : il n’y avait pas de « guerre d’Algérie », ne l’oublions pas !). Leurs enfants étaient jeunes et je me suis beaucoup rapprochée de toute la famille. Elle-même ne disposait guère de moyens pour agir quand la situation en Algérie a commencé à très mal tourner, en janvier 1957. Cette préoccupation de sauver des vies, pour elle comme pour moi, était essentielle, « absolue », elle l’était dans la suite de tout ce qu’elle avait vécu comme déportée.
Projet - Elle s’occupait, en même temps, de l’association des anciennes déportées ?
Germaine Tillion - Oui. La fondatrice de l’Amicale des déportées et internées de la Résistance (Adir), Marika Delmas, en fut la première présidente, mais Geneviève a été élue présidente très rapidement et sans cesse réélue jusqu’à sa mort. Nous venons tout juste de désigner une nouvelle présidente cette semaine ! Cette responsabilité a représenté pour Geneviève une charge très absorbante tout au long de sa vie.
En vous disant cela, je me rends d’ailleurs compte que toutes les missions que Geneviève s’est données ont été aussi importantes. Elle s’est investie à fond dans son travail au cabinet d’André Malraux : pour elle, la culture ne devait pas rester la propriété des privilégiés mais devenir accessible à tous. Ella a passionnément travaillé pour cet objectif de démocratisation, et pourtant elle a « lâché » Malraux (qui ne voulait pas la laisser partir) afin de s’engager à fond pour le quart monde. En même temps, elle était une mère de famille attentive, très présente ; moi-même – cela s’est trouvé ainsi –, j’ai joué un peu le rôle d’une grand-mère (qu’ils n’avaient pas) pour ses enfants, et je leur suis restée très attachée.
Projet - Voyez-vous une continuité, une ligne de force dans tout cet itinéraire ?
Germaine Tillion - Et vous, qu’en pensez vous ? Je dirais simplement qu’« elle l’a fait », elle a fait tout cela, malgré les obstacles auxquels s’est heurtée la réalisation de ces objectifs : par exemple, la discussion parlementaire de son projet de loi sur l’exclusion a été interrompue par la dissolution de l’Assemblée en 1997. Je dirais aussi qu’elle a tout fait avec courage, ce qui est mieux. Je rappellerais encore qu’elle était très croyante, et que c’était ce qui dominait en elle. Finalement, le plus significatif fut qu’elle ait su être toujours de plain pied, à la hauteur de ses engagements, qui étaient des engagements de très haut niveau. Il est vrai qu’elle a vécu tous ces engagements en les nourrissant de son amitié. Dans chacun de ces lieux, il s’est agi de rencontres de personnes.
Son engagement dans la Résistance est pour moi le premier, mais son engagement « dans la morale » vient peut-être avant. Il remonte à l’enfance : elle était fiable, d’une droiture absolue. Je pense même qu’elle pouvait être héroïque. Son engagement comme épouse et mère de famille, ainsi que celui pour le quart monde ont aussi été des engagements de vie. Ils ne l’ont pas empêchée cependant d’assumer des tas d’autres choses, moins contraignantes, tout au long de sa vie. Je dirais, pour terminer, que Geneviève de Gaulle-Anthonioz a été une personne tout à fait « rare ».
Projet - Francine de la Gorce, vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz ? Comment s’est-elle engagée avec vous au sein du mouvement ATD quart monde ?
Francine de la Gorce - Je n’étais pas présente lors de sa première visite au camp de Noisy le Grand, en 1958. Elle avait rencontré le Père Joseph lors d’un dîner chez une amie et il l’avait invitée à venir visiter le camp. Il l’a alors emmenée dans un des igloos de fibrociment, suggérant à la mère de famille de leur faire un café. Mais cette femme n’avait ni café, ni filtre : elle a dû envoyer ses enfants quémander à droite et à gauche pour trouver de quoi en offrir une tasse à celle qu’on lui avait présentée comme « la nièce du général ». Geneviève a compris dès ce jour que le père Joseph ne « faisait pas la charité ». Elle lui a demandé en quoi elle pouvait être utile. C’était en octobre et le P. Joseph s’inquiétait à propos de l’achat de charbon pour l’hiver ; il lui a demandé si elle pouvait répercuter un appel à l’aide pour le charbon dans la presse. Geneviève de Gaulle-Anthonioz connaissait un journaliste à RTL et l’appel a été lancé sur les ondes. Ce fut sa première action en faveur du mouvement Quart monde et pendant plusieurs années, elle a ainsi apporté son soutien de manière ponctuelle par des interventions dans les ministères. En effet, elle avait quatre enfants à élever, elle continuait à travailler, avec son mari, Bernard Anthonioz, au cabinet d’André Malraux, et elle était engagée au sein de l’association des anciennes déportées de Ravensbrück ; le P. Joseph mesurait donc ses demandes pour ne pas la gêner. Mais les pouvoirs publics, la mairie et la société d’Hlm Emmaüs, propriétaire du camp de Noisy, voulaient supprimer celui-ci sans proposer de relogement pour les familles. Le Père Joseph avançait, quant à lui, le projet d’une cité de promotion familiale qui fut d’abord refusé par les ministères. Fin 1960, un drame se déroula dans le camp : deux incendies ravagèrent coup sur coup le bureau du P. Joseph (incendie criminel) et un igloo : deux jeunes enfants périrent carbonisés. Toutes les familles du camp défilèrent en criant leur désespoir et leur révolte. C’est à ce moment là que j’ai décidé personnellement de m’engager à titre définitif dans le mouvement, alors que je voulais partir en Inde, et Geneviève, qui assista à l’enterrement des deux enfants, sentit la force désespérée de ces familles qui se croyaient abandonnées de toute la société. Sa réaction m’a beaucoup impressionnée. Je pensais à ma propre mère : rescapée, elle aussi, de Ravensbrück, elle n’a pas supporté de rester plus d’une heure quand elle est venue me voir au camp de Noisy. Il lui rappelait trop de dénuement, d’humiliations et de souffrances... Geneviève, pour sa part, s’est sentie mobilisée dans le combat pour la dignité d’ATD, justement parce qu’elle a retrouvé Ravensbrück dans le camp de Noisy. Cette réaction, à l’inverse de beaucoup d’autres, m’a frappée : elle n’avait pas besoin de s’engager avec nous pour remplir sa vie.
Projet - Quelles motivations profondes avez-vous perçues alors pour cet engagement ?
Francine de la Gorce - Il est toujours difficile de parler de la spiritualité des autres, quand on a déjà du mal à exprimer la sienne propre. En ce qui concerne Geneviève de Gaulle-Anthonioz, je crois important de souligner qu’elle s’est construite dans le malheur et que sa foi l’a soutenue tout au long de sa vie : à quatre ans, elle a perdu sa mère – et son père ne s’en remettait pas –, à dix-sept ans elle a perdu sa sœur, ensuite elle a été déportée à Ravensbrück et finalement elle a connu le quart monde. Dans cette traversée de tous ces moments très durs, de grandes épreuves, elle a toujours trouvé la force d’espérer. Elle n’en parlait pas beaucoup dans la vie quotidienne, mais cette attitude traduisait aussi sa discrétion à l’égard des autres, car elle savait que certains volontaires étaient non croyants.
Un jour, où je lui demandais si sa foi l’avait aidée à tenir le coup à Ravensbrück, elle me répondit : « Croyez-vous que la foi peut aider quand on vit des choses comme ça ? » Et dans son livre sur la déportation, elle écrit : « En entrant dans le camp, c’était comme si Dieu était resté à l’extérieur », ajoutant plus loin : « Et pourtant il n’était pas absent. » Elle le retrouvait dans la fraternité avec ses camarades de déportation. Mais cette foi n’aurait-elle pas été constamment réinterrogée, dans la traversée des épreuves et la rencontre d’hommes et de femmes debout ?
Projet - Comment a-t-elle concrétisé cet engagement ?
Francine de la Gorce - En 1964, Geneviève prit la présidence du mouvement, en vue d’obtenir la construction de la cité de promotion familiale dont le principe était pourtant acquis depuis trois ans : ce fut un long combat, plusieurs années de travail, la participation à de multiples commissions et sous-commissions ministérielles. Geneviève Anthonioz avait quitté le cabinet d’André Malraux pour se mettre davantage au service du Père Joseph. Son attitude est très significative : cette femme s’est toujours modestement mise à l’ombre d’un grand homme : d’abord son oncle Charles, puis André Malraux et en dernier Joseph Wresinski. Pour sa cause, elle a alors donné toutes ses capacités de négociation et de travail dans les milieux politico-administratifs qu’elle connaissait bien. En même temps, elle n’a jamais voulu trop user de son influence personnelle de « nièce préférée » du Président de la République. Le Père Joseph a pu d’ailleurs se montrer agacé quand elle n’a pas forcé pour lui la porte du général de Gaulle, qu’il aurait tellement voulu rencontrer afin de lui présenter les Cahiers de doléance préparés par les familles du quart monde en 1968. Le rôle de Geneviève n’allait pas sans qu’elle soit tiraillée parfois entre deux fonctions et deux situations sociales. Je me souviens particulièrement d’une anecdote qui illustre ces difficultés. C’était en 1964, nous étions toutes les deux en rendez-vous chez Michel Massenet, le directeur du Fonds d’action sociale (Fas), qui nous accordait une subvention importante afin d’acheter deux grandes caravanes pour assurer l’antenne sociale et l’antenne sanitaire du bidonville de La Courneuve. Il était furieux, car il avait eu connaissance d’un article d’Igloo (la revue du mouvement) qui dénonçait violemment le comportement – il est vrai insupportable – d’un policier, chargé de la résorption des bidonvilles, vis-à-vis des plus pauvres. M. Massenet ne récusait pas les faits mais observait qu’un fonctionnaire ne pouvait pas se défendre face à de telles accusations. Geneviève était très mal à l’aise dans la négociation. Elle a demandé par la suite au P. Joseph de ne plus la mettre dans de telles situations : la défense des plus pauvres ne devait pas avoir pour conséquences la négation des problèmes des autres, et surtout de leur bonne volonté !
Pourtant, elle faisait passer la dignité des plus pauvres avant tout. En 1967, lorsque le permis de construire la cité de promotion familiale fut enfin accordé, le sous-préfet du Raincy organisa des réunions bimestrielles pour préparer les relogements avec la Ddass, les Hlm, les mairies et autres services sociaux. On y discutait plus facilement les problèmes des « moins pauvres », en écartant ceux des « plus pauvres » qu’on traitait d’irrécupérables. Lors d’une de ces séances, un fonctionnaire lança sur le ton de la plaisanterie : « Ceux-là, il n’y a qu’à les jeter dans la Marne. » Geneviève et moi avons aussitôt quitté la réunion.
Projet - Vous parlez d’elle comme d’une experte qui représentait votre « surface publique », capable de faire voter une loi. Mais comment devenir porte-parole des plus pauvres sans bien les connaître. Elle ne venait que rarement au camp de Noisy ?
Francine de la Gorce - Il est vrai qu’elle était une « alliée », dans le jargon ATD, et non une volontaire et qu’elle ne vivait pas au milieu des plus pauvres. Moi-même, j’ai habité le camp de Noisy pendant sept ans, puis le bidonville des Francs-Moisins à Saint-Denis, jusqu’aux premiers pas de ma fille. Geneviève venait une fois par semaine en moyenne jusqu’à la mort du Père Joseph en 1988. A partir de 1988, elle a dû se sentir plus profondément responsable, remplaçant le Père Joseph au Conseil économique et social. Après la mort de son mari, en 1994, elle a été encore plus présente physiquement. Pour répondre précisément à votre question, je pense en effet que, pendant plus de vingt ans, elle restait sans doute un peu « à distance », respectueuse de chacun et ne se permettant aucune familiarité avec les familles. Sa connaissance de la population des plus pauvres venait à la fois de son écoute formidable du P. Joseph et des volontaires qu’elle rencontrait, et de sa propre expérience de l’horreur et de l’humiliation, une expérience vécue dans son propre corps. Elle suivait aussi ses propres chemins de ressourcement, participant aux universités populaires, accompagnant des délégations de jeunes, puis de familles du quart monde qui voulaient rencontrer le Pape. Mais je pense aussi que, si elle n’avait pas eu un mari et des enfants, elle aurait été volontaire du mouvement dès le début.
Projet - En même temps, il était important que les décideurs prennent en compte la situation et la parole des plus pauvres, que cette parole soit entendue au Conseil économique et social aussi bien qu’à Bruxelles ou même à l’Onu. Cette insistance venait-elle de la participation de Geneviève Anthonioz à un cabinet ministériel ?
Francine de la Gorce - Cette insistance était une grande idée du Père Joseph, qui avait connu dans sa jeunesse la pauvreté et le rejet social. Dès qu’il a vu le camp de Noisy, il a pensé et dit que ces gens devaient gravir les marches de l’Elysée, de l’Onu et du Vatican, là où se décide le destin des hommes. Si Geneviève a très vite adhéré à cet objectif, c’est qu’elle était profondément citoyenne, républicaine. Elle savait que chacun doit participer au débat en tant que sujet, alors que, dans les années 60, la société refusait de voir que les pauvres étaient capables de vivre en famille et ne les considérait pas comme des sujets de droit : face à une personne seule, on ne prend pas forcément conscience de la continuité de la vie ni de la globalité des droits. A l’époque, l’opinion traitait les plus pauvres d’« incapables » ou d’« asociaux », les jugeant responsables de leur propre situation.
Projet - Comment a-t-elle vécu le combat d’ATD pour la loi contre l’exclusion sociale ?
Ce fut un moment capital de son engagement, qui prolongeait le rapport Wresinski adopté en 1987. Avant de préparer la loi, les gouvernements successifs nous ont fait lanterner d’abord en proposant des expériences pilotes, alors que nous avions mené celles-ci depuis trente ans déjà. Pour faire avancer les choses, nous avons rassemblé un grand nombre d’associations avec nous. Les six premiers articles de la loi étaient en discussion à l’Assemblée lorsque Chirac l’a dissoute en 1997. Geneviève de Gaulle-Anthonioz a aussitôt téléphoné au Président pour lui exprimer sa stupéfaction. Tout était à refaire ! Pourtant, nous y avons gagné, car le premier projet de loi était mal ficelé. Le discours de Geneviève à l’Assemblée nationale fut un moment inoubliable. Déjà malade, elle avait eu du mal à grimper à la tribune et sa voix n’avait pas les accents gaulliens qu’on lui connaissait parfois. Mais, des tribunes, nous avons vu l’hémicycle se remplir progressivement et les députés rompre avec leur habitude de conversations de couloir. Et à la fin de son discours, un instant de silence a précédé une marée d’applaudissements. Il semblait que la France avait retrouvé une raison de se rassembler et de se battre. Le Président de la République comme le Premier ministre s’étaient engagés personnellement auprès de Geneviève pour faire passer cette loi. A bout de forces physiques, elle a attendu l’obtention de la loi pour passer la main à Paul Bouchet, qui est devenu président d’ATD en 1998, et elle a demandé alors à devenir volontaire du mouvement. Par ce geste, elle situait notre engagement à un niveau bien plus haut que ce que nous pensions. J’en ai été très impressionnée. Elle a alors consacré ses dernières forces à écrire et corriger son livre Le secret de l’espérance.
Projet - Présidente pendant près de 35 ans de la branche française du mouvement, se sentait-elle le bouclier d’ATD qui est devenue une association importante ?
Francine de la Gorce - Elle n’a pas vécu cela comme un rôle de pointe. Bouclier, si vous voulez, mais uniquement vis-à-vis des pouvoirs publics. Geneviève n’a jamais été une « patronne », suivant en cela une sorte de discipline interne au mouvement qui veut que tout se fasse en équipe, de manière concertée. Elle a sans doute pris des décisions seule, mais toujours après concertation. Elle avait un contact direct avec chacun, de sorte que chacun avec elle se sentait intelligent ! Sans être le bouclier, elle se considérait comme un porte-drapeau : l’extension internationale du mouvement ne l’a pas étonnée ni gênée, car la France reste la terre natale d’Atd. Par contre, elle a sûrement souffert de la notoriété croissante du mouvement en France, qui était pesant et a dû lui compliquer la vie. Elle aurait voulu retourner dans l’ombre.
Projet - Cette notoriété n’est-elle pas inéluctable, si ATD veut réussir à faire sortir les plus pauvres de l’ombre ?
Francine de la Gorce - Vous avez raison, on est obligé de passer par là et la notoriété est inéluctable. Ce qui me gêne, c’est plutôt que les politiques délèguent un peu trop de leur pouvoir et de leur autorité aux associations de la société civile, pas seulement Atd ; on est alors un peu hors du droit, et les associations qui ont beaucoup travaillé se trouvent involontairement solidaires de cette sorte de démission de l’Etat. Nous préférerions que l’Etat se sente davantage responsable des plus pauvres. En tant que figure de proue, Geneviève a dû ressentir ce danger : et après le vote de la loi contre l’exclusion, elle a bien compris qu’il ne fallait pas retourner « dans l’ombre » mais sur le terrain pour chercher l’exclusion ailleurs, là où on ne la voit pas. Car le vote d’une loi ne suffit pas : elle peut se retourner contre les pauvres si elle n’est pas bien utilisée.

Entretien avec Germaine Tillion et Francine de La Gorce,

Ancienne présidente du mouvement ATD quart monde, rapporteur au Conseil économique et social Geneviève de Gaulle-Anthonioz a présidé, jusqu’à sa disparition, l’amicale des anciennes déportées de la Résistance. Pour retracer son itinéraire, Projet a rencontré deux de ses amies fidèles : Germaine Tillion, aujourd’hui âgée de 95 ans, grande figure de la Résistance qui l’avait précédée au camp de Ravensbrück, et Francine de la Gorce, vice-présidente de la branche française d’ATD quart monde, qui l’avait précédée dans l’engagement dans ce mouvement. Nous les remercions pour ces entretiens.

Pour citer cette page

Entretien avec Germaine Tillion et Francine de La Gorce, « Itinéraire : Geneviève de Gaulle-Anthonioz », Ceras - revue Projet n°270, Juin 2002. URL : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=1804.
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diumenge, 3 de febrer del 2013

AI QUAQUÍN, QUE HAS VENGUT DE PRIM !

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No m’he considerat mai un quaquiner de pro. De fet, en sentir parlar del sainet del mestre Sebastià Rubí, les meves antenes es giren amb una certa prevenció, tot mirant d’esquivar un localisme mal entès o un costumisme estantís. I tanmateix, tant pel moment en què es representava com pel repartiment de luxe que hi participava, aquest Quaquín no es podia deixar passar. Hi vaig acudir a la infreqüent (però interessant) funció matinal de diumenge, una “matiné”, com n’han dit alguns. D’entrada, cal destacar la potència del muntatge i del sainet per si mateixos: cinc funcions al nou auditori, que traduïdes en xifres d’espectadors esdevenen 3.500 personetes. Es diu molt aviat. Públic de totes les edats, el pati de butaques exhala manacorinitat. Sense perdre de vista la senzillesa del text original, cal també reconèixer-ne el mèrit i l’oportunitat, el mèrit d’unes rèpliques encertades i enginyoses que el fan convertir en un text dinàmic i entretengut, i l’oportunitat d’haver sortit a la llum quan era hora i d’haver-se sabut consolidar com un text de referència entre els manacorins. Centenars de funcions durant els deus prop de vuitanta anys d’història l’avalen: el Quaquín és un sainet, i és una obra senzilla i potser sense més pretensions, però és un clàssic. I ho és perquè en el seu moment va ser capaç de mostrar el Manacor de la seva època en una mica més d’una hora de representació: la divisió entre els senyors i el poble, els pobres; la lluita de classes; la crisi de principi de segle XX a Mallorca, amb l’èxode de centenars i milers de mallorquins cap a les Amèriques (que tothom designava genèricament amb el nom de dues ciutats: Bones Aires i l’Havana); el costumari festiu, amb Sant Antoni (avui tan en raure); les expressions genuïnes a balquena, com els tractaments (avui oblidats) de les persones segons el seu estament (de tu, de vós i de vostè), i la part musical, imprescindible per aconseguir infiltrar en la memòria manacorina versos com els de “molt bon dia mestre Antoni” o “ai, Quaquín, ai Quaquín, que has vengut de prim!”.
Però, i el muntatge? D’entrada ja agrada la presentació de l’escenari: una paret seca feta en cartó-pedra i una estesa de roba variada de colors que s’enfila cap al cel i dóna al paisatge un aire naïf i ingenu, potser volent interpretar la caricatura, potser volent transmetre una alegria rere el missatge amarg que s’amaga enllà de tot. Això, a l’esquerra, volent mostrar el poble. I a la dreta, a l’entorn del senyoriu, un paisatge de roba blanca i un balcó des d’on fa la seva entrada don Pau. I al fons de tot, pintada de negre i unint els dos Manacors, la silueta de la vila amb el seu campanar de pretensions catedralícies presidint l’escena. També mereix una menció d’alabança el vestuari, tant pel que fa als vestits populars, com als senyorials, com també als uniformes de les treballadores (suposam que perleres…).
En aquest Quaquín 2013, hi predomina l’excel·lència, la feina ben feta, l’herència de més de trenta anys de teatre manacorí, la fusió de totes les generacions teatrals, des dels granats Capsigranys als potents Petita Pàtria, passant pels Neorurals o el Tau Teatre. Hi destaca sobremanera el paper d’un mestre Antoni magistral, interpretat per Jaume Obrador, que no sols excel·leix en la interpretació, sinó també a l’hora de cantar, amb potència, amb seguretat, amb dicció diàfana i entenedora, amb gràcia i desimboltura, sense impostura. Meravelles només podem contar de na Margalida, la seva filla, interpretada per Xesca Vadell, capaç de moure’s amb comoditat inusitada pel terreny llenegadís del teatre costumista amb la dosi justa de paròdia i sense caure en un populisme xabacà. De don Pau, en aquest cas interpretat pel capsigrany Pep López, cal valorar-ne la interpretació mesurada, amb fragments de text agraïdíssims, com la seva entrada en escena: “No, no, no, nonó. A mi no me vengueu amb macanas”, per acabar dient que “cada dematí estam en ses mateixes: ‘ruido i més ruido’. ‘Ruido’ és renou, ja ho sabeu?”. Don Pau parla amb accent argentí però en la justa mesura, sense sobreactuar, amb una pausa senyorívola que ens el fa alhora entranyable i repelent, com ha de ser.
Més suaus i discrets aquesta vegada són els papers d’en Tomeu, amb un Joan Toni Sunyer que torna a demostrar que es mou amb comoditat dins tots els registres; de na Paquita, interpretada per l’elegant Alfonsina Ballester (amb un timbre que li reclama un punt més d’esforç en la projecció de la veu), el talent de la qual demana més presència en els escenaris; de madò Bel, per Rosa Sunyer, una mica encastada dins els estereotips més costumistes, però graciosa i còmoda també dins aquest registre de comèdia popular; i de l’amo en Miquel, amb un Esteve Sastre potser massa encarcarat en la seva interpretació i amb un timbre de veu una mica apagat.
El sainet es desenvolupa de manera frenètica i fins que no n’ha passat més de la meitat de la funció no apareix el vertader protagonista, el Quaquín. I aquesta és una altra de les màgies del sainet, saber fer estar el públic endarrer del moment de la seva aparició, fent-lo protagonista absent del muntatge. El mític crit de “mon paaaaaaaaare”, arribant a casa des de l’estació ens va semblar més llarg i emotiu que mai, amb un Toni Lluís Reyes treballant la caricatura amb mestria i traient tot el suc dels enginyosos diàlegs de Sebastià Rubí a l’entorn de la rusca que ha passat l’aventurer manacorí per les Amèriques: “Prendré un poc el sol, que avui encara no he pres res”, o “vaig arribar a passar tanta gana que no podia conversar perquè em menjava les paraules”. Caracteritzat amb el capell de palmes d’ala forta, un vestit de fil, una maleta vella i una clenxa lluenta fixada amb el suc d’una llimona, Reyes endevina a la perfecció la paròdia i la caricatura, però també la tendra enyorança de la terra que va deixar. En canvi, no hauria sobrat gens una mica més de potència i seguretat a l’hora d’interpretar les cançons, en el que segurament ha estat l’única feblesa d’una actuació excel·lent per part del polifacètic actor i director manacorí.
No hem fet esment fins ara de la magnífica dicció de tots els actors, que també és traslladable a la del cor, entenedor fins al darrer so articulat, amb una presència plenament integrada dins l’escenografia del muntatge i amb participació gestual i postural activa. Sorprèn, no obstant això, una presència aclaparadorament femenina, comprensible en la primera de les cançons en què són les “veïnadetes” les qui interactuen cantant amb mestre Antoni, però més difícil de justificar en les altres peces. Sense que aquest crític pugui bravejar de coneixements musicals, la impressió que hom es va endur de la interpretació del cor va ser de magnificència, sense fissures, una actuació acurada, detallista, amb ofici i, sobretot, amb entusiasme, amb l’acompanyament d’uns músics que, ensofronyats dins el fossat, segurament són els grans oblidats del muntatge, en què són del tot necessaris, per interpretar uns arranjaments cuidats fins al minimalisme preparats per Josep Ros i Xavier Gelabert, encarregat també de la direcció musical.
En una paraula, qui no s’ha trobat un dia pel carrer o dins la dutxa cantussejant d’esma el “molt bon dia mestre Antoni” o el “que hermosa és mallorca i els mallorquins”? El Quaquín forma part de l’imaginari manacorí, i també mallorquí. Emociona, arriba, fa fremir. I potser esdevé altra volta un text d’actualitat, amb uns índexs d’atur juvenil que sobrepassen el cinquanta per cent i que ja han obligat a partir cap a altres terres, “somiant fortuna”. A l’Auditori hi acudiren tots els manacors de sempre: el Manacor bufa i ranci, el Manacor conformat i passiu, el Manacor revoltat i popular, el Manacor santantonier, el Manacor futbolista, i el cavallista, el Manacor industrial i el Manacor pagès, i el Manacor cultural i el Manacor que no llegeix, el Manacor roig, i el Manacor de la vella guàrdia. El secret del Quaquín potser és aquest: esdevenir una baula més en la cadena identitària manacorina, tot i sabent els qui hi acudeixen i el segueixen i l’admiren que, amb les festes passades, els dos Manacors continuaran mormolant darrere els capdecantons, un perquè tot continuï igual, l’altre perquè canviï tot.